Mon nom est Marc-Olivier, j’ai 31 ans et je suis fier. Fier de moi, fier de ce que j’ai accompli, fier d’être authentique et présent. Fier d’être en mesure de partager avec vous aujourd’hui ma tentative de suicide. Je ne suis pas fier de l’événement en tant que tel, mais je suis fier d’être capable de mettre des mots, d’être capable de vous raconter mon expérience, car je sais que le suicide est encore un sujet sensible.
Je n’ai aucune honte de mon acte et j’en parle ouvertement, comme je parle très ouvertement du fait que je vis avec un trouble bipolaire. Si je suis capable de regarder les autres, les autres détournent souvent le regard. Le suicide est tabou. Le suicide, c’est plus courant qu’on ne le croit; il se cache sous de multiples visages.
Nous sommes tous égaux devant la maladie. Si le suicide n’est pas en soi une maladie, il est le résultat d’une souffrance, l’échec d’un traitement. Nous ne sommes pas seuls. Le mal n’est pas que dans notre tête, c’est un mal collectif, une souffrance qui vient se déposer, sur nos épaules.
Par le suicide, j’ai essayé de me libérer des souffrances dans lesquelles mon cerveau m’a plongé. J’utilise ici le terme « cerveau » et non « âme » ou « être », car ce n’est pas mon âme qui est malade, mais bien mon cerveau.
L’Âge adulte
La semaine dernière était une semaine spéciale, une semaine qui chaque année depuis une décennie m’effraie. Il y a 10 ans, j’ai tenté de me suicider.
Il y a des moments de notre existence qui en raison de ce qu’ils représentent sont soulignés et magnifiés. Ce sont des moments qui se gravent dans notre mémoire. Bien souvent il nous est possible de se rappeler les faits, ce que nous portions, où nous étions. Des moments de mémoire.
Les rites de passage qui font de nous un adulte, un vrai adulte, sont liés intrinsèquement à l’âge. Vieillir nous autorise à être. On obtient de nouveaux droits : voter, boire, conduire, jouer, fumer, sortir. Vieillir reste néanmoins un événement difficile et angoissant en raison de tout ce qu’on nous dit d’être et que nous ne sommes pas.
Je me souviens de la solitude que j’ai éprouvée lors de mes 18 ans. Je me souviens bien de cette journée-là. Sur le quai du métro j’attendais que le wagon arrive. Quand le wagon s’est immobilisé, les portes se sont ouvertes et je me suis assis. Banal. Soudainement, le conducteur du métro est entré dans mon wagon. J’étais seul avec mes écouteurs dans les oreilles. Avec une forte voix et une certaine colère dans le regard, le chauffeur m’a dit : « T’es malade! C’est dangereux de se tenir aussi près du bord du quai.» J’avais 18 ans. Si je vous conte cette histoire, c’est qu’elle n’est pas banale. J’ai toujours détesté mon anniversaire, et ce moment était la cerise sur le Sunday : je voulais mourir.
La veille de mes 21 ans
Depuis toujours je suis anxieux. Une anxiété qui s’est développée avec le temps. Lorsque j’ai réalisé où j’étais dans ma vie, j’ai réalisé que cette maladie vicieuse prenais une grande place dans mon corps. Le 20 janvier 2009, pour moi la seule façon de cesser de souffrir était de mourir. C’était la mes 21 ans.
Je m’en souviens comme si c’était hier. J’étais travail à vendre des billets de cinéma, anxieux et déjà sous médication. D’un coup, j’ai quitté le travail et je n’avais qu’une idée en tête : aller à la pharmacie. Mais ce soir-là, ce n’était pas ma pharmacienne qui était là.
Je savais qu’il me restait une prescription de médicaments. Peut-être que si ma pharmacienne avait été là, elle aurait reconnu mon état distant, anxieux, gêné. Elle aurait reconnu la tristesse sur mon visage et ne m’aurait pas donné le flacon de médicaments bien rempli. Je ne blâme pas pour autant la pharmacienne qui était là, elle ne pouvait pas savoir.
Dès que j’ai reçu le sac contenant les pilules, je me suis dépêché de rentrer chez moi. Mon colocataire n’était pas là. C’est surprenant de constater avec le recul que l’on se dépêche beaucoup pour poser un acte qui est censé nous figer dans le temps. Je ne sais pas pourquoi, mais je sentais le besoin de faire le ménage. Je crois que j’avais peur qu’on me juge d’avoir laissé ma chambre et mes papiers dans un état de négligence. Que l’on me juge pour ce que j’allais faire.
Forcément, dans ce moment traumatisant mes proches auraient pensé à me juger pour avoir laissé derrière moi le chaos !
Après avoir rangé la vaisselle et ma chambre, puis fait mon lit comme ma grand-mère me l’avait montré, j’ai pris les médicaments. À ce moment précis, mon intention était claire, je voulais mourir. Je voulais mourir sans la souffrance. J’ai toujours eu peur d’avoir mal.
Je me suis étendu sur mon lit et adopté cette pose qu’ont les morts dans les films, les bras allongés sur la poitrine. J’ai attendu.
Le temps semble plus long lorsqu’on attend. Les yeux fermés, je vois au loin le calme, mais ce dernier semble soudainement s’estomper et là tout commence.
BOUM, BOUM, BOUM ! Mon cœur bat vite et fort, plus vite et plus fort. Je deviens plus anxieux. J’ai mal et je ne veux pas avoir mal. Seul, je fais les cent pas dans ma chambre. Lucide, je me décide, paniqué, je compose ces 3 chiffres, 911. Je me souviens. Je parle à une femme. J’ai toutes les difficultés du monde à m’exprimer car je suis devenu aphasique. La dame me pose plusieurs questions. Je sais qu’elle essaye de me parler en attendant l’ambulance Il fait froid et je mets mon manteau, j’attrape des bottes de pluie, car ce sont les plus faciles à enfiler. Je m’assois par terre dans le vestibule.
Je me dis que je dois être prêt pour l’arrivée des ambulanciers. Comment ces derniers vont-ils entrer si je ne leur ouvre pas la porte ? Assis, je pleure, car j’ai mal à la fois à mon corps et à mon âme. Là encore, j’ai toute ma tête. Mon téléphone sonne : c’est mon coloc et meilleur ami. C’est lui qui a dû dire à ma mère que j’étais en route vers un hôpital, mais sans savoir lequel. Notre conversation est très brève. Confus et paniqué, je sors dehors et je m’assois sur les marches. Effrayé par toute cette gamme d’émotions, je comprends que je suis sur le chemin qui me mènera où je voulais aller. J’ai mal. L’ambulance arrive.
Je me réveille une semaine plus tard à l’hôpital. J’ai essayé de me tuer. Mon cœur a lâché et j’ai eu droit au massage cardiaque et au défibrillateur. Le médecin me dit que j’ai endommagé mes reins. Moi je sais que je ne suis plus le même.
Se réapproprier un anniversaire
Aujourd’hui j’ai 31 ans et pour la première fois je me suis réapproprié cette journée qui depuis 10 ans n’était plus la mienne. Le processus de réappropriation est lent et par moments difficile. Je dois avouer que cette année, le 20 janvier au soir et seul dans mon lit, j’ai eu des idées noires. On n’oublie que rarement la mort des gens qui nous sont chers; imaginez comment on se sent quand c’est notre propre mort qui nous est rappelée.
Avec le recul, je réalise que j’ai eu beaucoup de difficulté à franchir mes 21 ans, l’âge qui me rendait universellement adulte. La société me présentait un modèle qui n’était pas le mien. Au cours de ma 20e année, j’ai commencé à vouloir être moi et c’était difficile d’être un homme homosexuel en raison de l’image qu’on m’avait présentée depuis ma tendre enfance. J’avais peur du rejet et de ne plus être aimé par ceux que j’aimais. C’était déchirant. Je ne pouvais plus vivre des identités multiples, car qu’il n’y a « qu’un moi ».
Aujourd’hui j’assume qui je suis et j’ai versé quelques larmes en écrivant mon histoire.
Mes pistes de solutions
Plusieurs facteurs m’ont aidé à me remettre sur pied et m’aident encore aujourd’hui:
– M’approprier ma maladie. Parler ouvertement et répondre aux questions des gens.
– Ne plus me définir comme étant bipolaire, mais comme étant une personne souffrant d’un trouble bipolaire. La différence est dans les petites choses.
– Mieux comprendre comme ma maladie fonctionne pour mieux reconnaître les symptômes.
– Lire mon dossier médical a été thérapeutique.
– Parler.
– Ressentir mes émotions.
– Méditer et planifier des séances quotidiennes de pleine conscience.
– Apprendre à être bien seul m’a appris à être bien avec les autres.
– Faire équipe avec mon médecin, poser des questions et choisir mes soins et médicaments.
– Prendre en charge ma santé.
– Tisser des liens avec mon pharmacien et discuter avec lui : c’est lui le spécialiste des médicaments.
– Réaliser que ce n’est pas une honte de prendre des médicaments.
– Agir pour donner du sens à mon quotidien. Pour moi, ça veut dire nourrir mes liens avec ma famille et mes amis. Je complète aussi une maîtrise.
En terminant, j’aimerais souligner que le soutien psychologique devrait être accessible rapidement à tous. Luttons ensemble pour en avoir plus. S’il était plus facile de parler à un professionnel, il y aurait peut-être moins de suicide. Nous devrions tous être capables d’avoir accès à un « safe space », un endroit où il est possible de parler et de se faire écouter. L’écoute et le dialogue ont le pouvoir de changer bien des choses.
Marc-Olivier Vezina
Maîtrise en études urbaines
Maîtrise en science de la gestion, profil ressources humaines
Ressources d’aide :
– Association québécoise de prévention du suicide
– 1-866-277-3553 / 1-866-Appelle
– Regroupement des Services d’intervention de
Crise du Québec
– PsyAssistance / PsyAssistance, l’une des premières applications mobiles en français à avoir été validées scientifiquement, compte des milliers d’utilisateurs. L’application procure un soutien qui ne remplace ni la médication, ni la thérapie, mais qui peut atténuer au jour le jour la souffrance et la solitude de ceux qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale, voire des idées suicidaires.